Opinion: Briser le silence

Un article d’opinion écrit par Maria Guramare et Salomé Garnier en réaction aux événements et protestations récentes entrainés par le décès de George Floyd, et pour une conversation plus large au sujet du racisme.

Par Maria Guramare ’21 & Salomé Garnier ’22

English version available here

Tout d’abord, le Harvard College French Club affirme sa pleine solidarité avec George Floyd, Breonna Taylor, Ahmaud Arbery et beaucoup trop d’autres dont les vies ont été prises dans des circonstances atroces et inexcusables, résultant d’un racisme systémique et institutionnalisé aux États-Unis. Nous nous joignons aux minorités aux Etats-Unis, en Europe, et partout dans le monde, dans la lutte pour l’égalité et contre le racisme.

Mais au-delà d’exprimer notre solidarité, nous avons souhaité prendre position et exprimer notre soutien déterminé et inébranlable pour une mise en action vers un changement qui doit se propager en dehors des frontières américaines. Nous souhaitons utiliser cette publication comme moyen de rappeler à nos amis et familles européens que le racisme est encore immensément présent sur notre continent, et doit y être combattu tout aussi radicalement. De même, nous encourageons nos proches à amorcer des conversations portant sur le racisme en France, ainsi que sur les fondations de nos propres a priori. Dans ce message, nous ne représentons d’aucune manière les propos ou les opinions d’Harvard ou d’autres membres du Harvard College French Club.

Tout d’abord, il nous paraît essentiel de prendre conscience que le silence n’est pas acceptable dans le contexte actuel. Demeurer silencieux alors que des personnes innocentes meurent simplement à cause de la couleur de leur peau n’équivaut pas à “ne pas s’en mêler”. Dans la lutte contre l’oppression, rester silencieux implique prendre parti, car refuser de prendre position c’est laisser l’oppression se poursuivre. Notre passivité condamne ceux qui souffrent activement. De plus, il n’est plus justifié d’utiliser le manque d’information ou de connaissances comme excuses, étant donné les quantités astronomiques de ressources disponibles permettant à chacun de former son opinion.

Où que vous soyez dans le monde, il existe des moyens de lutter contre la déshumanisation et le racisme. Mais avant tout, le changement s’initie dans les comportements individuels : il est crucial que nous commencions par nous-mêmes. Nous vous invitons à songer, collectivement, aux manières par lesquelles nos a priori et nos actions pourraient être des vecteurs de l’injustice globale, et par lesquelles nos silences et notre indifférence pourraient marquer notre complicité envers un système injuste dont certains d’entre nous bénéficient. Le moment est largement venu pour nous de nous engager dans des conversations difficiles avec nos proches, avec ceux qui ne partagent pas notre avis, et avec ceux qui sont victimes de cette oppression. Il est central d’agir avec conviction et de manière réfléchie, car un simple changement dans notre discours public ou notre présence sur les réseaux sociaux a peu de valeur s’il n’est pas accompagné par un questionnement rigoureux de nos propres mentalités.

Il est aussi impératif de prendre conscience que les décès récents de noirs Américains aux mains de la police ne sont pas des événements isolés, mais au contraire représentatifs d’un phénomène beaucoup plus large et répandu de racisme ancré et systématisé, et d’inégalités raciales. La mort de George Floyd fut un élément déclencheur des manifestations s’étant répandues ces derniers jours, mais il ne s’agit que du sommet de l’iceberg.

Au-delà du contexte Américain, nous souhaitons insister sur le tort, en tant qu’européens, que représenterait le fait d’ignorer les événements récents aux Etats-Unis sous prétexte que ces incidents précis n’ont pas eu lieu “chez nous”. Par ailleurs, notre réponse ne doit pas se limiter à de l’empathie, ou un soutien distant, pour ceux qui souffrent et manifestent à l’étranger. 

En France, comme ailleurs en Europe, les minorités font face à des traitements différents et des opportunités inégales au vu de leurs compatriotes blancs, pour des raisons entièrement indépendantes de leurs capacités, de leur caractère ou de quelconques facteurs sur lesquels ils auraient une influence. Nombre d’entre eux luttent, de plus, contre plus d’une forme de discrimination : l’intersectionnalité avec le sexe, la classe sociale, l’orientation sexuelle, etc. provoque une remise en cause permanente de nombreux aspects de leur identité – de leur légitimité au sein de la société et en tant qu’êtres humains.

Pour ceux qui douteraient encore de ces affirmations, sachez qu’elles ne sont pas dérivées d’opinions ni même d’auto-évaluations : il existe une quantité immense d’études rigoureuses sur ces sujets. Par exemple, l’INSEE a montré que des CV identiques soumis à des offres d’emploi ou de logement en France reçoivent un nombre significativement réduit, jusqu’à divisé par deux, de réponses positives lorsque ceux-ci portent un nom à connotation maghrébine ou africaine, par rapport à ceux utilisant un nom à “connotation traditionnelle française.” De même, et pour revenir au contexte actuel Américain, pour les jeunes hommes “perçus comme maghrébins ou noirs,” la probabilité de subir des contrôles de police est 20 fois supérieure à la moyenne du reste de la population. Dans une étude de 2018, à la question – “une lutte vigoureuse contre le racisme est-elle nécessaire en France ?” ; 76% des français ont répondu “oui”. Donc que fait-on, les 76% d’entre nous, en ce moment même ?

A cause de l’environnement dans lequel nous grandissons, nous avons tous des opinions, a priori ou préjugés basés sur l’ethnicité, que ceux-ci transparaissent dans nos actions ou non, et indépendamment de notre lucidité envers leur existence. Un effort actif est nécessaire pour les reconnaître et les analyser. Aussi souvent que nous surprendrons chez nous-mêmes des généralisations par rapport à des sous-groupes de la population, il est de notre responsabilité de prendre conscience des a priori qui influencent notre jugement, et de repenser résolument ces préjugés que nous avons inconsciemment adoptées par défaut.  

Admettre notre manque d’éducation vis-à-vis de la complexité de ce problème est inconfortable, mais c’est l’unique moyen de surmonter l’indifférence collective qui règne aujourd’hui en France et ailleurs. Arrêtons d’être sur la défensive lorsqu’il s’agit de nous améliorer. Reconnaître et admettre que d’être blanc implique le privilège de ne pas souffrir quotidiennement de discriminations ne causent aucune perte matérielle, d’emplois ou de diplômes. Cela veut simplement dire que nous sommes suffisamment honnêtes pour nous rendre compte que, bien que l’on mérite les choses que nous avons accomplies, certains d’entre nous y ont été aidés par un écosystème entier. Nous n’avons pas tous débuté la course sur la même ligne de départ, et souvent notre point de départ est indépendant de nos fautes ou mérites personnels. Et, souvent, nous ne confrontons pas les mêmes obstacles au long du chemin. Nous ne pouvons pas ignorer que d’autres personnes parmi les sept milliards avec lesquelles nous cohabitons peuvent mériter ces mêmes réussites, mais qu’une partie de la population reçoit une avance qui est non-négligeable au succès individuel.

De même, affirmer que “Black Lives Matter” (“la vie des Noirs compte”) ne signifie pas que les autres vies ne comptent pas, mais plutôt que l’on observe aux États-Unis que les vies de Noirs sont menacées et injuriées chaque jour. Selon la métaphore très souvent citée, au moment où une maison est en feu les pompiers ne vont pas arroser toutes les maisons de la rue en disant que toutes les maisons comptent. Ils concentreront leurs efforts immédiats sur celle qui est en train de brûler, car c’est celle qui présente un besoin urgent. Une proportion accablante de personnes considère qu’elles ne sont pas responsables ou impliquées dans la problématique du racisme car elles ne méprisent pas personnellement les vies d’individus issus de minorités ethniques, mais, en même temps, elles demeurent silencieuses ou passives pendant que ces vies sont détruites ou dépourvues de chances. Ce phénomène se transpose entièrement en Europe si on se penche sur les attitudes d’infériorisation constante et de menace envers ces mêmes vies – la structure inhérente de la discrimination raciale se préserve partout dans le monde, et en France inclus, même si nos différentes histoires et situations géographiques entraînent nécessairement des différences concernant la forme et les cibles de ce racisme

L’essentiel de notre message vise à faire comprendre qu’une étape vitale vers une égalité véritable consiste à ce que chacun d’entre nous entreprenne une réelle réflexion sur ces sujets, un approfondissement de nos connaissances actuelles, et une remise en cause de notre propre contribution au problème, en tant qu’individu. Au-delà de ça, nous devons utiliser les moyens dont nous disposons – contributions financières, nos plateformes et réseaux sociaux, nos voix – afin de faire partie intégrante du changement. Il s’agit de modifier nos perceptions afin de progressivement nous défaire de nos a priori, au noms des vies humaines qui sont maltraitées et méprisées dans ce monde chaque jour. Nous devons nous mobiliser pour tous ceux qui ont parfois peur de quitter leurs foyers le matin, car ils ne sont jamais entièrement certains de leur retour. Nous devons faire retentir notre voix pour ceux qui font face à des regards méfiants ou d’appréhension chaque fois qu’ils entrent dans une pièce à cause de leurs caractéristiques physiques. Nous avons la responsabilité d’être indignés pour ceux qui n’obtiendront pas une promotion ou un emploi parce qu’une personne blanche avec exactement les mêmes compétences sera privilégiée. Globalement, il est de notre devoir de nous assurer que naître libre et égaux en droits est une promesse tenue à tous.

Essayer ne suffit plus, et ne rien entreprendre ne devrait même pas être envisageable. En Europe tout autant qu’aux Etats-Unis, il est trop tard pour se cacher derrière des excuses, et il est trop tard pour ne pas reconnaître l’existence et l’étendue de ce problème.

Que vous ne soyez pas convaincu(e) de l’étendue de ce problème, ou incertain(e) de votre propre responsabilité ; que vous souhaitiez apporter votre contribution sans savoir comment ; que vous pensiez que nous venons d’exprimer des “opinions” et non de dénoncer une urgence humanitaire objective – nous vous prions de prendre un moment pour consulter la liste de ressources que nous avons compilée dans la déclaration officielle du Harvard College French Club. Celle-ci contient plus informations au sujet des événements actuels aux Etats-Unis et du racisme en France, des vidéos à regarder, des articles à consulter, des endroits où concentrer ses dons, des manières d’être un allié actif, et des stratégies pour mettre en œuvre ces conversations difficiles mais nécessaires avec vos proches. 

Merci de votre lecture. Qu’allez-vous faire maintenant?

Guide de Conversation: questions à poser à vos familles et amis, questions à vous poser vous-même

  • Où voyez-vous des éléments de racisme dans votre quotidien? Quelles sont des manières plus subtiles par lesquelles le racisme peut impacter des personnes autour de vous sans même que vous ne le remarquiez?
  • Quels biais ou préjugés avez-vous contre certains groupes de la population? Comment ces biais peuvent-ils avoir un effet néfaste sur des personnes de couleur avec qui vous travaillez, étudiez, ou simplement interagissez?
  • Comment pensez-vous que la couleur de votre peau a pu vous avantager ou désavantager au cours de votre vie? Quelles opportunities ont pu s’ouvrir à vous pour cette raison? Y a-t-il eu des moments dans votre vie où vous avez peut-être bénéficié du fait d’être blanc, même sans le savoir?
  • Comment réagissez-vous quand vous observez un comportement ou des propos racistes? Avez-vous déjà ignoré ou laissé passer ce genre de comportement par le passé? Comment comptez-vous réagir dans le futur?
  • Pourquoi est-il important que nous nous unissions tous pour lutter contre cette injustice? Que vous engagez-vous à faire pour soutenir vos convictions, entreprendre une réflexion sur ces sujets, et contribuer tangiblement à cette lutte?